Une définition des concepts s’avère nécessaire pour ne pas se tromper de démarche. Puis, il est important de saisir les enjeux pour chacun des acteurs dans l’entreprise. Enfin, nous verrons le processus de prévention de la désinsertion professionnelle qui obéit à une méthodologie en plusieurs étapes.
1. Définition des concepts
Il ne faut pas confondre le reclassement, le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle.
- Reclassement : quand une personne est déclarée inapte à reprendre son emploi par le médecin du travail, l’employeur doit lui proposer un autre emploi adapté à ses capacités. C’est une obligation juridique. Et le reclassement doit être proposé dans l’entreprise où travaillait la personne ou dans les autres entreprises du groupe, mais uniquement en France.
Si la personne refuse l’emploi ou si le médecin du travail déclare que tout type de maintien dans l’entreprise ou le groupe nuirait à sa santé, l’employeur peut procéder à un licenciement pour inaptitude. A noter qu’il n’existe pas de licenciement pour inaptitude dans la fonction publique.
Des informations plus complètes sur les différences entre le secteur privé et la fonction publique sont réunies dans un tableau en fin d’article.)
- Maintien dans l’Emploi : c’est une démarche d’entreprise qui regroupe l’ensemble des mesures et des efforts déployés pour permettre à une personne menacée dans son emploi en raison de son état de santé ou de son handicap, de continuer à travailler dans son poste actuel ou dans un poste adapté.
- Prévention de la Désinsertion Professionnelle (PDP) : cette approche relève de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE). Elle vise à anticiper et à intervenir précocement pour éviter que le Travailleur Handicapé ne soit exclu du monde du travail. Elle comprend la surveillance des risques de santé au travail, la gestion proactive des premiers signes de maladie ou de difficulté et l’adaptation continue du poste de travail.
2. Enjeux selon les acteurs
- La Personne en Situation de Handicap : elle est au cœur du dispositif. Son enjeu est l’exclusion professionnelle. Son employabilité dépend de l’adaptation de ses conditions de travail, des soutiens dont elle dispose dans son entourage professionnel, notamment son Manager, et de l’accès à des formations.
- Le Référent Handicap : le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle font pleinement partie de ses missions. Son rôle est notamment de coordonner les efforts des différents services et acteurs : Service des Ressources Humaines, Service de Prévention et de Santé au Travail (SPST) et bien sûr Managers. Il met en œuvre les aménagements nécessaires et assure le suivi régulier de la Personne en Situation de Handicap.
- Le Responsable des Ressources Humaines (RRH) : il garantit la conformité légale des pratiques de reclassement et de maintien dans l’emploi ; il lutte contre les discriminations et le harcèlement ; il optimise les ressources humaines, ce qui inclut la formation, la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) mais aussi la gestion des absences pour raison médicale et leur corollaires, à savoir le coût des absences, des licenciements, voire des procédures prud’homales ; enfin il développe une politique RH inclusive et s’aligne sur les enjeux RSE de l’entreprise. Il travaille nécessairement en collaboration avec les Managers.
- Le Manager : la Personne en Situation de Handicap est dans son équipe, donc sous sa responsabilité. Le Manager définit les objectifs opérationnels et convient avec chaque personne des modalités de réalisation, des délais et moyens à déployer. Il est amené, au quotidien, à s’adapter aux circonstances : compétences et capacités individuelles variables, absences plus ou moins fréquentes… tout en maintenant la cohésion de l’équipe.
3. Processus : étapes clés
Le processus déroule plusieurs étapes : la détection des signaux faibles, la qualification de la problématique, la coordination des acteurs et l’élaboration du plan d’action, la mise en œuvre du plan et enfin le suivi.
Anticiper : la détection des signaux faibles
La prévention de la désinsertion professionnelle suppose de détecter au plus tôt les signes avant-coureurs d’une situation qui pourrait se dégrader. Le Manager peut surveiller les changements de performance, d’humeur ou de comportement qui pourraient indiquer une difficulté croissante à remplir les tâches habituelles.
Les signes sont divers :
- Les indicateurs (quantifiables)
- Nombre d’erreurs
- Absences
- Passages à l’infirmerie
- Les observables (non quantifiables)
- Comportement professionnel
- Degré autonomie
- Conscience professionnelle
- Degré de motivation
- Lenteur
- Comportement social
- Repli sur soi, isolement
- Agressivité
- Négligence vestimentaire
- Manifestations d’angoisse
- Comportement physique
- Fatigue
- Douleurs ou plaintes exprimées à ce sujet
- Comportement professionnel
Qualifier : l’entretien exploratoire
Si les signes de souffrance sont à peu près communs à toutes les situations de souffrance, leur origine peut différer considérablement d’une situation à l’autre : décès d’un proche, divorce, maladie d’un enfant, accident, maladie, discrimination, harcèlement…
En bref, il faut « qualifier » la situation pour orienter la personne vers l’acteur pertinent. Dans le cadre de cet article, nous nous limitons au handicap et à l’état de santé. L’entretien exploratoire est un dialogue structuré entre le Manager, la Personne en Situation de Handicap et, dans un deuxième temps, le référent handicap, pour discuter des préoccupations, évaluer les besoins de soutien ou d’adaptation, et comprendre les défis personnels et professionnels rencontrés.
Agir : plan d’actions concerté avec les autres acteurs
Dès que la situation est qualifiée par les acteurs, il convient d’agir de façon concertée.
Le plan d’action peut inclure tout ce que l’on fait ordinairement dans le cadre du maintien dans l’emploi : des aménagements organisationnels (horaires, charge de travail, télétravail…), des aménagements ergonomiques, des aides techniques, des formations adaptées, des soutiens psychologiques, le tout en collaboration avec la personne concernée qui reste en général la mieux placée pour savoir ce dont elle a besoin et ce qu’elle est prête à accepter.
Le plan d’action entre dans une logique de prévention de la désinsertion professionnelle quand on raisonne à l’échelle de la carrière complète. C’est alors que certains choix à court terme sont avantageusement remplacés par une réflexion à plus long terme, susceptible de conduire à des orientations certes plus radicales comme la reconversion professionnelle, mais dans certains cas seule issue pour préserver une employabilité jusqu’à la retraite à taux plein.
Suivre : points réguliers
Quand toutes les actions ont été mises en œuvre, il convient de suivre l’évolution de la situation en faisant des points réguliers avec la Personne en Situation de Handicap. En effet, le handicap peut évoluer à cause de l’aggravation de la maladie mais aussi du simple fait que l’environnement ou l’entourage professionnel ont changé. L’objectif de ce suivi est d’évaluer l’efficacité des adaptations et des soutiens et de les si besoin,
Exemples :
Diabète de type 2
- Signaux faibles :
- Fatigue fréquente
- Augmentation des absences pour rendez-vous médicaux
- Diminution de la concentration
- Maintien dans l’emploi :
- Pauses supplémentaires pour la surveillance du glucose et l’administration d’insuline
- Charge de travail régulière en évitant les pics d’activité et le stress
- Suivi :
- Signes d’aggravation : complications affectant la mobilité
- Nouvelle adaptation : installation d’un poste de travail ergonomique adapté, avec chaise spéciale et clavier ajustable pour réduire la tension
Maladie de Crohn
- Signaux Faibles :
- Utilisation fréquente des toilettes
- Perte de poids visible
- Diminution de l’appétit pendant les pauses déjeuner
- Maintien dans l’emploi :
- Poste de travail près des toilettes
- Pauses flexibles
- Télétravail
- Suivi :
- Signes d’aggravation : besoin de plus en plus de télétravail, baisse accrue de la productivité
- Nouvelle adaptation : objectifs réduits et délais augmentés
Sclérose en Plaques (SEP)
- Signaux faibles :
- Pertes d’équilibre
- Fatigue anormale en fin de journée
- Problèmes de mémoire ou de concentration
- Maintien dans l’emploi :
- Installation de supports et de rampes dans les zones de travail
- Diminution des tâches impliquant une station debout prolongée
- Suivi :
- Signes d’aggravation : complications au niveau de la communication
- Nouvelle adaptation : logiciels d’assistance à la communication, comme les outils de reconnaissance vocale, et adaptation des méthodes de communication interne
Selon le métier exercé, les nouvelles adaptations peuvent rester compatibles avec l’emploi. Il peut aussi mettre en évidence la fragilité potentielle de la compatibilité handicap-emploi. Dans ce cas, il convient de s’inscrire dans une démarche de prévention de la désinsertion professionnelle et il faut le faire pendant que la personne a encore assez d’énergie pour s’impliquer dans un nouveau projet professionnel et induisant peut-être de suivre des formations. Des dispositifs existent spécifiquement dans ce but, notamment l’aide « Inclu’Pro Formation ».
Inclu’Pro Formation Il s’agit d’une prestation qui a pour objectif, dans le cadre d’un parcours de maintien dans l’emploi ou de transition professionnelle de construire et valider un nouveau projet professionnel dans le cadre d’un reclassement interne ou externe lorsque le maintien au poste de travail initial n’est pas possible du fait du handicap. Il s’agit d’un accompagnement destiné à permettre à la personne de : Comprendre et accepter sa situation de handicap Envisager de nouvelles pistes professionnelles Évaluer les possibilités d’insertion ou de reclassement professionnel au sein de l’organisme ou dans un autre projet professionnel Valider les projets envisagés Cette prestation est finançable par l’AGEFIPH (secteur privé) et par le FIPHFP (fonction publique). |
En conclusion, les Managers jouent un rôle clé pour déclencher les alertes sur la base des signaux faibles, pour maintenir dans l’emploi grâce à la concertation avec le Référent Handicap, l’équipe RH, le médecin du travail, et finalement pour prévenir la désinsertion professionnelle.
Focus sur le reclassement : les différences entre le secteur privé et la fonction publique.
Secteur privé | Fonction publique |
Médecin du travail : il émet des avis d’aptitude par rapport au poste | Il existe 2 types de médecins : – Médecin agréé : il émet des avis d’aptitude par rapport à la fonction / au grade – Médecin du travail / de prévention : il émet des avis d’aptitude par rapport au poste |
Tous les salariés en poste ont les mêmes droits contractuels | Les agents titulaires sont prioritaires : en cas de reclassement, un poste occupé par un non-titulaire doit être considéré comme vacant (loi du 13 juillet 1983, art.3) |
La procédure de reclassement est définie sur le plan calendaire : – 15 jours entre la visite de (pré-)reprise et l’avis d’inaptitude – Puis 30 jours jusqu’à la reprise du paiement du salaire et la possibilité de faire un licenciement pour inaptitude si aucun poste n’a été trouvé ou accepté par la personne concernée | La procédure de reclassement n’est soumise à aucun délai réglementaire dans la fonction publique territoriale et hospitalière mais un délai excessif est sanctionné par les tribunaux. Dans la fonction publique d’Etat : l’article 3 du décret n°84-1051 du 30 novembre 1984 impose à l’Etat de faire plusieurs propositions d’emplois dans un délai de trois mois au plus. Plus largement, la Cour d’Appel de Bordeaux a précisé, dans un arrêt du 9 avril 2013, qu’en cas d’inaptitude physique d’un agent, le délai de quatre mois peut être regardé comme excédant le délai raisonnable pour commencer à opérer une recherche d’un poste de reclassement (CAA Bordeaux, 9 avril 2013, 12BX00099). |